vendredi 19 juin 2009

Demofoonte de Niccolo Jommelli - Cesare Lievi/Riccardo Muti

Demofoonte de Niccolo Jommelli à l'opera Garnier dirigé par Riccardo Muti et mis en scène par Cesare Lievi, représentation du 18 juin 2009.

L'opéra napolitain du XVIIIe siècle n'est pas très connu, je ne connaissais pas même ce compositeur, c'est un des objectifs de Riccardo Muti et son orchestre de le faire connaître. Cet opéra date de 1743, le roi de Thrace, Démofoonte (Dimitri Korchak) a deux fils, Timante (José Maria Lo Monaco), héritier du trône et époux secret de Dircéa (Maria Grazia Schiavo), et Cherinto (Valentina Coladonato) qui est amoureux de Creusa (Eleonora Buratto), la fille du roi de Phrygie, promise à Timante sur décision de leurs pères respectifs. Dircéa est fille de Matusio (Antonio Giovannini), un vassal (d'où les noces secrètes), et mère du petit Olinto avec Timante (la situation de départ est déjà complexe, vous l'aurez compris).Chaque année une vierge, tirée au sort, doit être sacrifiée aux dieux mais le roi a exclu la famille royale du tirage au sort et Matuso s'en plaint par souci pour sa fille (qu'il croit vierge), Demofoonte désigne Dircéa sans tirage au sort en guise de punition pour cette insubordination. Timante s'y oppose et le roi accepte de fléchir à condition que Timante épouse Creusa, ce qu'il ne peut accepter étant déjà marié, il décide donc de délivrer Dircéa par les armes et de s'enfuir avec elle. Après une bataille l'amour filial de Timante le fait céder devant son père mais il avoue enfin son mariage et son fils caché, le sacrifice n'aura pas lieu mais tous deux sont incarcérés.Pendant ce temps Creusa implore Démofoonte et obtient sa pitié, à peine Timante apprend t-il sa réhabilitation que Matusio vient l'informer d'une découverte qu'il a faite : Dircéa est fille de Démofoonte et non de Matuso. Timante comprend avec horreur la relation incestueuse dont il est coupable mais après maintes lamentations, tous apprennent aussi que Timante est le fils de Matuso et non de Demofoonte. Tout s'arrange donc, le véritable héritier Chérinto épousera Creusa, celle qu'il aime, Timante reste avec son épouse mais conserve l'amour paternel de Démofoonte.

L'intrigue est finalement très classique, le coup des enfants échangés à la naissance est assez amusant, d'autant plus que cette oeuvre est peu connue. Bien que très sérieux, le dernier acte de cet opéra apporte quelques touches d'humour à cause de ces "coups de théatre" aussi abrupts qu'opportuns et se termine bien.
Autre particularité, fortement liée à l'époque et l'origine de cet opéra, les voix. Sur les 7 chanteurs il y a 3 hommes dont 2 contre-ténors et un seul ténor! La voix la plus grave est donc celle de l'excellent ténor Dimitri Korchak (Demofoonte) qui donne toute son ampleur et sa majesté à ce rôle.

Dans ce contexte très baroque, taillé pour laisser parler la virtuosité vocale et notamment celle de quelque castrat, la part belle est faite aux longs solos, épuisants pour les chanteurs et même un peu pour le public. José Maria Lo Monaco a vraiment eu une tâche ardue, elle m'a même paru arriver à bout de souffle à la fin d'un solo particulièrement long et difficile. Si l'alternance des récitatifs et des arias s'enchaîne bien, certains arias sont quand même un peu longuets, les chanteurs ont beau bouger il est difficile d'avoir un jeu de scène et de captiver un public sur la même phrase pendant 10 minutes.
La tâche est moins lourde pour la fraîche voix d'Eleonora Buratto (Creusa) qui arrive tout à fait à convaincre, de même que les voix bien rondes de Valentina Coladonato (Cherinto) et Maria Grazia Schiavo (Dircéa), sans oublier la très belle performance de Korchak comme je l'ai déjà évoqué.
C'est moins le cas pour les deux contre-ténors : Antonio Giovannini manque clairement de puissance, on l'entend peut et il n'impressionne pas, que ce soit en solo ou lorsqu'il chante avec d'autres voix. Idem pou Valer Bama-Sabadus, bien que son rôle soit très court.

Je ne peux continuer sans parler de l'excellente prestation de l'orchestre et de la direction splendide de Riccardo Muti, incontestable maître de la baguette qui a été à la Scala pendant 20 ans et nous fait l'honneur d'un premier passage à Garnier. L'expérience et le talent parlent : tout est impeccable, pas un seul faux pas, la partition est sous contrôle...Ecoutez-donc, voici de la musique. C'est un peu mon regret de n'avoir pas toujours prêté attention à l'orchestre, mais c'est aussi à cela qu'on reconnaît la qualité musicale d'un opéra : lorsque l'harmonie est telle qu'on n'écoute pas deux ensemble, lyrique d'un coté, instrumental de l'autre, mais bien un seul et unique ensemble musical.
A noter une particularité musicale, il m'a semblé identifier une propension de Jommelli à terminer ses morceaux en levée. La note finale est souvent inattendue car elle monte et reste en suspens là où on s'attendrait à ce qu'elle baisse, ce qui me parait peu commun pour l'époque. Il en est de même pour le final de l'oeuvre où tous les chanteurs se retrouvent pour terminer ensemble, on s'attendrait à quelque chose de bien plus long et virtuose suite à tous les aria qui ont précédé et en réalité le final est rapide, presque abrupt (et la vitesse à laquelle le rideau est tombé contribue tout à fait à ce sentiment).

J'ai aussi été conquis par la qualité des décors et des accessoires, rien de grandiloquant ni d'une ambition titanesque mais cohérent avec l'oeuvre (c'est déjà beaucoup) et soigné, c'est du bon travail, c'est beau, ça sert l'oeuvre, que demander de plus? Les costumes sont moins dans cette veine, ils sont parfois bien mais ne détonnent pas et ne servent pas particulièrement l'oeuvre (le roi en haillons, très peu pour moi). Je trouve cela un peu dommage vu l'apropos de costumes plus fournis dans ce type d'oeuvre.

Il est évident que la présence de Riccardo Muti a fortement collaboré au remplissage de la salle tout au long des représentations mais il ne faut pas venir que pour lui. Il est sublime mais les chanteurs aussi et l'oeuvre est tout à fait intéressante (malgré quelques longueurs il faut l'admettre).
Voilà la preuve qu'on peut découvrir de nouvelles et belles choses dans l'opéra sans tomber dans l'avant-garde.

Un grand merci à Riccardo Muti à Cesare Lievi pour nous avoir fait découvrir Jommelli et son opéra d'une si belle façon.

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